EL PAÍS

Raviver l'esprit de l'Antarctique pour protéger la dernière frontière vierge de la planète

Célébrons ce mois d’octobre avec un esprit renouvelé d’objectif commun. Lors de la réunion de la Commission pour la conservation de la vie marine de l'Antarctique (CCAMLR), qui s'ouvre cette semaine en Australie, les pays membres auront une occasion unique de transformer les principes en faits : parvenir à un accord équilibré qui déclare la zone marine protégée tant attendue de la péninsule Antarctique et établit une augmentation scientifiquement gérée et répartie spatialement du quota de pêche au krill. Il nous appartient de démontrer que la coopération en faveur de la dernière frontière vierge de la planète est encore possible, même dans un monde divisé.

Les nations réunies au sein de la CCAMLR doivent mettre de côté les tensions actuelles et s'attaquer à l'Antarctique, un lieu dédié à la paix et à la recherche scientifique au bénéfice de tous les citoyens du monde, guidés par la promesse fondamentale du Traité sur l'Antarctique.

Cette semaine, lorsque les délégués comparaîtront devant la CCAMLR, ils devront répondre à une question difficile : allons-nous honorer ce pacte fondateur ou permettre à nos rivalités de le briser ? La décision est toujours entre nos mains, mais seulement si nous trouvons le courage d’agir au-delà des intérêts nationaux étroits.

L’océan Austral évolue rapidement. La glace de mer recule à un rythme jamais vu auparavant, les eaux se réchauffent et le krill, l'espèce clé de la région, est soumis à une pression croissante en raison du changement climatique et de la concentration de la pêche.

Plus tôt cette année, la CCAMLR a pris la mesure sans précédent de fermer la pêcherie de krill avant la fin de la saison, après que le quota annuel ait été épuisé trois mois plus tôt que prévu. Cela fait suite à l'échec de l'agence l'année dernière à renouveler une règle de conservation qui obligeait les flottes de pêche à répartir leur effort sur une zone plus large autour de la péninsule Antarctique. Comme prévu, la pêche était concentrée dans de petites zones critiques.

Presque toutes les captures provenaient de la région de la péninsule Antarctique, réduisant ainsi les concentrations de krill dont dépendent les baleines, les manchots et les phoques pour plus de 95 % de leur alimentation.

Le système est manifestement sous pression. La question n'est plus de savoir si la CCAMLR doit agir, mais si elle peut le faire avec unité et vision.

En 2018, le Chili et l’Argentine ont proposé la création du domaine 1 d’aire marine protégée (AMP) de 670 000 kilomètres carrés sur la péninsule Antarctique pour sauvegarder ces zones critiques d’alimentation et de reproduction. Des recherches actualisées ont identifié la nécessité d'établir des zones interdites à la pêche dans des zones telles que le détroit de Bransfield et l'île Elephant, qui sont essentielles pour l'alimentation mais chevauchent les opérations de pêche au krill. En réponse à ces découvertes, les scientifiques chiliens et argentins ont affiné les limites de l'AMP pour inclure un couloir protégé au sud, où le krill devrait se regrouper à mesure que la glace marine continue de reculer.

Tout cela n'est pas une théorie. C'est une science au service de nos responsabilités planétaires.

Au cours des 23 dernières années, la CCAMLR a eu du mal à se mettre d'accord sur de nouvelles zones protégées, parvenant à en créer seulement deux : autour des îles Orcades du Sud et de la mer de Ross. L’incapacité d’aller au-delà reflète un ensemble de tensions géopolitiques et de priorités économiques à court terme qui éclipsent la gestion planétaire à long terme.

Cependant, cette année, malgré les tensions mondiales, il existe une opportunité de parvenir à un accord bénéfique pour toutes les parties et qui respecte à la fois la science et le pragmatisme. Certains des points qui devraient être atteints sont :

  1. Approuver la création de l’AMP de la péninsule Antarctique comme prochaine aire protégée, avec une clause de révision après 35 ans similaire à celle de l’AMP de la mer de Ross, garantissant une réévaluation basée sur la science et la flexibilité.
  2. Mettre en œuvre un système de gestion des pêcheries écosystémiques spatialement explicite pour la pêche au krill : établir des quotas par sous-régions, révisés chaque année par le Comité scientifique pour refléter les changements dans les écosystèmes et les données climatiques.
  3. Autoriser des ajustements modérés des quotas, mais répartir l'effort de pêche plus uniformément entre les zones pour éviter un épuisement localisé et protéger les aires d'alimentation des prédateurs.
  4. Donner au Comité scientifique les moyens de compléter la définition de travail et les lignes directrices pour les AMP. Les affirmations selon lesquelles les définitions manquent ne tiennent plus la route. L'expérience et les modèles existent déjà.

Ce package permet à chacun de repartir de la réunion de Hobart avec des avancées concrètes. La nature triomphe. L'industrie de la pêche triomphe. Le multilatéralisme triomphe.

Le Chili et l'Argentine, en tant que gardiens de la porte sud de l'Antarctique, ont fait preuve de cohérence et de courage en promouvant des mesures de protection fondées sur la science. Toutefois, ils ne peuvent et ne doivent pas agir seuls.

Il est temps que tous les pays membres de la CCAMLR se souviennent de l'héritage qu'ils ont hérité des fondateurs du Traité sur l'Antarctique : un héritage de coopération face aux conflits et de science plutôt que de politique. Laissons les conflits géopolitiques sur la terre ferme et laissons les eaux glaciales de l’océan Austral nous rappeler que nous sommes capables de travailler ensemble même dans un monde divisé.

Si la CCAMLR parvient à parvenir à un consensus en octobre, et ce avec courage, science et engagement, elle enverra un signal puissant indiquant que le multilatéralisme est toujours vivant et que, même dans la partie la plus méridionale de la planète, l'humanité peut encore réaliser ses idéaux les plus élevés.

Que cette année soit l’année où le continent gelé fera renaître l’espoir. Non seulement pour l’Antarctique, mais pour le monde entier.

A lire également