La fin de l'abondance… sauf pour Mckinsey

La fin de l’abondance… sauf pour Mckinsey

Rarement une opération de communication aura aussi mal tourné pour Emmanuel Macron. C’est arrivé dimanche dernier à l’occasion de la célébration du Z Event, le rendez-vous annuel de la communauté française pour récolter des fonds pour des associations environnementales. Dans une vidéo postée sur Twitter, et enregistrée en selfie, il est apparu bronzé, les cheveux légèrement ébouriffés et une chemise blanche à col mao pour féliciter les organisateurs de l’événement et leur rappeler qu’il partage leur combat contre le changement climatique. Une série d’éléments qui dans l’imaginaire de ses conseillers auraient dû mettre les jeunes dans sa poche, mais qui a été perçu pour ce qu’il est : une tentative pas si subtile de redressement politique d’un président qui les écologistes lui reprochent depuis des années son inaction climatique et l’énorme distance qui sépare ses paroles de ses actes. « Bien sûr que vous avez besoin de nous, puisqu’en trois jours nous avons fait plus que vous en cinq ans », lui a répondu directement de contraction @AngleDroit_en s’appuyant sur les 10 millions d’euros qu’ils ont réussi à lever en seulement trois jours.

Au milieu du déluge de critiques et d’insultes que la vidéo a provoqué, j’ai été particulièrement frappé par le tweet de @JeanMassiet, homme politique le plus suivi de France (73 000 followers sur Twitter et plus de 176 000 sur Twitch), dans lequel il publie ce qui semble être l’agence de communication type ―un document détaillant la stratégie du client à suivre― intitulé « Z Event 2022″ et signé par le cabinet de conseil privé américain McKinsey. Bien qu’il précise qu’il s’agit d’un faux document qu’il a lui-même écrit pour se moquer du président et de ses conseillers, son contenu est des plus plausibles, de l’évaluation de la situation aux tweets suggérés au président. Exemple : « Je tiens à féliciter tous les participants du Z Event. Cette mobilisation des jeunes nous oblige à l’action et correspond à mon engagement pour le climat ». Un tweet qui semble vraiment provenir des esprits macronistes les plus brillants. « Quel dommage que vous ne facturiez pas le même prix que McKinsey à la page », ironise un tweeter évoquant le scandale qui aurait bien pu coûter au leader sa réélection en avril dernier, alors qu’une commission d’enquête du Sénat révélait que l’État avait payé 1 000 millions d’euros pour les prestations de ce cabinet de conseil non taxé en France. Une somme et, surtout, une dépendance à des consultants privés pour la prise de décision publique jamais vue dans les gouvernements précédents et qui a littéralement enflammé les réseaux à cette époque.

Plus tôt ce mois-ci, McKinsey était de retour sur Twitter. Le magazine a révélé qu’en dépit du fait que l’entreprise fait l’objet d’une enquête du Parquet Nacional Financier (l’équivalent du parquet de la Cour des comptes) pour possible « blanchiment aggravé de fraude fiscale », l’État ―via un organisme public― avait une fois de plus lui a accordé un juteux contrat durant l’été. Parmi les réactions, une vidéo dans laquelle il intervient la philosophe Barbara Stiegler devenu viral. Dans la lignée de la formidable enquête journalistique, de Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, Stiegler s’attarde sur la manière dont l’État délégué à McKinsey et la BVA Nudge Unit (spécialisée dans l’accompagnement du changement de comportement des populations) n’est rien d’autre que la gestion de la crise covid et politique vaccinale. Il s’agit, ni plus ni moins, « du financement par l’argent public de la liquidation du sens de l’Etat », assure-t-il.

Il semble que l’État français ait cessé de s’appuyer sur ses hauts fonctionnaires pour la prise de décision publique et la gestion de crise, un tournant qui devrait tous nous concerner. Pas seulement les Français. Si la ponction sur les effectifs de la fonction publique orchestrée par Sarkozy durant son mandat est en partie responsable des carences actuelles, le recours abusif aux consultants privés porte la marque indubitable du macronisme. Ce courant inspiré du néolibéralisme qui confond la gestion d’un pays avec celle d’un , et qui veut nous faire croire que si nous ne soutenons pas ses réformes c’est parce que nous avons peur du changement ou que nous rechignons à innover, à progresser. Le seul possible. La réforme controversée des retraites approche… Espérons que la fin de l’abondance annoncée par Macron il y a quelques semaines atteindra aussi McKinsey.

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