EL PAÍS

Isabella Tree, écologiste : « L’Europe était comme le Serengeti. Nous pouvons récupérer ces habitats »

Isabella Tree photographiée en mai 2020 à Knepp, Sussex, Royaume-Uni.Lia Brasier

Isabella Tree (Dorset, Royaume-Uni, 59 ans) et son mari, Michael Burrell, ont lancé il y a 20 ans un projet désespéré et très complexe qui a fini par avoir des résultats étonnants. il venait d’hériter Château de Knepp, de 3 000 hectares de terres, ce qui à première vue semble merveilleux. Pourtant, ce n’était plus qu’un tas de terres épuisées incapables de produire quoi que ce soit après des décennies d’agriculture intensive avec 1,7 million d’euros de dettes. Financièrement parlant, il venait d’hériter d’une brune. Heureusement, ils ont trouvé un cas de récupération naturelle aux Pays-Bas et ont décidé d’essayer quelque chose de similaire. Aujourd’hui, ils sont les promoteurs de la première terre sauvage des basses terres d’Angleterre sur laquelle toutes sortes de variétés indigènes sont revenues, certaines d’entre elles en danger d’extinction au Royaume-Uni. Ils sont responsables du retour des daims, des rossignols, des orties ou des tourterelles à moins de 70 kilomètres de Londres. Tree, qui est journaliste et écrivain, vient de publier un livre sur son expérience : (Capitaine Swing).

DEMANDER. Ils ont fait confiance à la nature et elle a répondu. Qu’est-ce qui vous a encouragé ?

RÉPONDRE. Ce serait bien de dire qu’on a eu l’impulsion de le faire, mais c’était plus que la ferme était épuisée, beaucoup de subventions étaient sur le point de disparaître et on a vu que ce n’était pas viable économiquement. Nous avons appris de l’exemple de l’écologiste néerlandais Franz Vera, qui croit à la renaturalisation. L’Europe dans le passé était comme le Serengeti, il y avait beaucoup de sangliers, de cerfs… Si nous récupérons la diversité, nous pouvons récupérer ces habitats.

Q Si la biodiversité avait été perdue, comment se fait-il que les animaux soient revenus ?

R C’est le grand mystère. Lorsqu’on cesse d’intervenir sur le terrain, et qu’on l’encourage en laissant libres les chevaux et autres espèces, des animaux comme le papillon ortie, qui avait disparu il y a des années, reviennent.

Q Et les arbres ? Je pense qu’ils ont été assommés quand ils ont hérité.

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R Un expert en chêne nous a expliqué qu’à première vue ce qui nous paraissait normal était un symptôme de dégradation. Nous avions planté notre grain à la base même des rondins. Des pesticides ont été appliqués et labourés, et ce faisant, nous avons endommagé les racines mêmes de l’arbre. Il ne nous est jamais venu à l’esprit que nous pourrions leur faire du mal. Réaliser que c’était en grande partie de notre faute était difficile.

Q Que pensez-vous que nous devrions changer en tant que société à la suite de son exemple ?

R Laisser la nature s’exprimer ne cadre pas bien avec un état d’esprit rigide et axé sur les objectifs. Il est important que nous abandonnions le paradigme de la replantation constante. Que la nature soit restaurée.

Q Combien de temps a-t-il fallu pour voir les effets de la remise en état des terres ?

R À l’âge de deux ans, nous avons commencé à entendre beaucoup d’insectes partout. Abeilles, guêpes, sauterelles… Ce fut la première révélation. Ensuite, nous avons vu des vers et entendu différentes espèces d’oiseaux que nous n’avions pas vus depuis longtemps. Sur le plan environnemental, lorsque les rossignols sont revenus, les écologistes ont commencé à étudier notre territoire. Cinq ans s’étaient écoulés.

Q Pourrait-on faire quelque chose de similaire sur un petit lopin de terre ?

R Plus votre terrain est petit, plus vous aurez de travail à faire de votre côté, mais oui, c’est possible, nous venons de publier un guide pratique à ce sujet (Le livre de sauvagerie). Vous pouvez commencer par amener un poney et essayer de penser comme le ferait un castor. Tout consiste à appliquer les règles du processus naturel dans votre petit terrain.

Q Vous parlez d’effet générationnel, en quoi consiste-t-il ?

R Chaque génération regarde le paysage et suppose que ce qu’elle voit est normal. Je sais que les tourterelles, quand j’étais petite, annonçaient l’été chaque année. Je m’en souviens. Mais mes enfants ne peuvent pas parce qu’ils ne l’ont jamais vu. Chaque génération ne voit pas la perte de la précédente. Et ainsi nous perdons notre connaissance de l’environnement.

Q Quelle est la prochaine chose que vous avez l’intention de faire chez Knepp ?

R Nous voulons créer des couloirs pour que les animaux puissent changer de zone et rencontrer d’autres animaux de leur espèce, sinon ils ne seront pas très résistants à l’avenir.

Q Ils ont même ouvert une zone de safari. Beaucoup de monde y va ?

R Écoute, ça a été une source de revenus totalement inattendue. Nous gagnons environ un million par an, ce qui nous laisse une marge de 20 %. Nous accueillons au maximum 100 personnes par jour, il est presque toujours plein. Il nous a fallu un certain temps pour réaliser que les gens voulaient voir ce que nous avions accompli.

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