Une abstraction appelée Afrique

Une abstraction appelée Afrique

« La violence de ce siècle a un grand avenir », écrivait il y a des années le sociologue allemand Harald Welzer dans lequel il analysait pourquoi nous tuerons (et ils nous tueront) au 21ème siècle. Il y aura des migrations massives, il y aura des problèmes de réfugiés, des guerres pour les ressources, a-t-il dit, et a souligné que le changement climatique serait à l’origine des maux. Dans son livre il parlait beaucoup de l’Afrique, il considérait que celle du Darfour avait été la première guerre climatique, il soutenait que la violence telle qu’exercée par l’Occident consiste dans son effort de « la déléguer autant que possible ». Il ne s’attendait pas à ce que la guerre de Vladimir Poutine complique davantage le tableau en raison du manque de céréales pour nourrir un continent affamé. Le truc avec l’Afrique, c’est que c’est un terme abstrait pour une réalité complexe et qu’il résume un drame lointain qu’il est trop facile d’ignorer.

Dans Frederick Cooper, il propose quelques idées pour comprendre ce qui s’est passé à cette époque, en particulier dans la zone subsaharienne du continent. Il parlait du fait que la souveraineté que les pays africains étaient en train de conquérir lorsqu’ils sont devenus indépendants tout au long du XXe siècle a fini par évoluer dans les mêmes paramètres construits par les États coloniaux. C’étaient des régimes d’autodéfense ou « Gardiens de la Porte (ou de la Porte) ». Ils ont continué à l’être.

La chose vraiment importante pour leurs dirigeants était de gérer les ressources qui arrivaient du monde extérieur : « Leur principale source de revenus était les tarifs sur les marchandises qui entraient et sortaient de leurs ports. La marque de cette dépendance les empêchait d’organiser une authentique politique intérieure. Cooper parle également d’une autre phrase. Il appelle cela des « poussées de croissance », ou des « éclats », reprenant l’expression d’un autre spécialiste, Morten Jerven. Ou ce qui revient au même : l’Afrique s’améliore quand le reste du monde va bien, et c’est pire quand ça va mal.

Un continent très différent. Avec des mégapoles (Kinshasa et Lagos comptent plus de 10 millions d’habitants) et des milliers de petits villages. Avec des voies de transport conçues pour l’extraction de leur richesse, pas pour la communication interne et le commerce. Villes « flottantes » (un immense secteur informel urbain sans aucune régulation), pratiques ataviques (ablation clitoridienne), modernité (une culture vivante vivante), coutumes traditionnelles enracinées (l’avancement n’est possible que grâce aux réseaux de parenté). Les mouvements de guérilla ont jadis remporté la bataille internationale de l’identification au progrès et à l’autodétermination, mais plus tard, on a vu que la lutte armée n’apportait pas des sociétés démocratiques et justes. Dictatures longues, tutelle (et abus) des grandes puissances, guerres interminables, enfants soldats, élément tribal : les ethnies ne sont pas clairement délimitées dans les territoires et les relations transfrontalières foisonnent. Les États sont généralement faibles : milices, violences de toutes sortes, pillages. terreur islamiste. Des jeunes qui réclament la démocratie, des femmes dont dépend l’économie familiale. Laquelle de ces Afriques meurt de faim, comment chacune peut-elle lutter contre le réchauffement climatique ? Plus l’Afrique reste diffuse, meilleures sont ses chances de rester à l’écart. La COP27 arrive : l’un de ses enjeux est de mettre des visages concrets sur ses besoins dans les politiques vertes.

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